Thursday, December 31, 2015

Bonne Année mes amis!




Chers amis,

Je vous souhaite à tous une bonne et heureuse année 2016. Après une bien sombre et même tragique 2015, je souhaite de tout cœur que cette nouvelle année voie un retour vers la paix, ainsi qu'un élan universel vers plus de compassion et de tolérance.

Comme j'espère avoir bientôt de bonnes nouvelles à vous annoncer à propos de la publication en 2016 du troisième tome de ma trilogie, La voix de l'Égrégore, je joins ci-dessous à mes vœux les quatre premiers chapitres du second tome, Le vertige du RhombusIls se déroulent en Bretagne, parallèlement en 1942 et 
en 2012. 
(L'intrigue du troisième tome, elle, démarrera sur les chapeaux de roues à Paris, parallèlement en 1943 et 
en 2013). 

Je tiens enfin à remercier ici mes lectrices et lecteurs de leur patience et de leur soutien qui m'ont été 
tellement précieux cette année. 

À bientôt donc, chers amis, et encore une fois 
BONNE ANNÉE!






LE VERTIGE DU RHOMBUS

TOME 2 des MAÎTRES DE L'ORAGE


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Côtes du Nord,[1] mars 1942


Un cahot plus violent que les autres précipita Anne de Tréharec contre le siège avant de la voiture et la réveilla en sursaut. Elle se frotta les yeux et passa ses doigts engourdis dans son épaisse chevelure brune. Combien de temps avait-elle dormi ?
Un coup d’œil par la fenêtre lui indiqua que le paysage n’avait pas changé depuis des kilomètres : des chemins étroits encastrés entre de hauts talus broussailleux qui bouchaient la vue et lui donnaient envie de vomir. Alors qu’elle tournait la tête, une toupie sombre tournoya devant ses yeux. Anne réprima à grand mal une nausée. Elle ne voyageait pas bien en voiture.
Coincée sur le siège arrière au milieu d’un amas de valises et de sacs, Anne frissonna. Il faisait froid dans la vieille Citroën qui cahotait péniblement sur la route pleine d’ornières.
     — C’est un vrai parcours du combattant cette route ! grommela le Frère Jean.
Une main sur le volant, il s’empara de ses petites lunettes à monture métallique et essaya de les astiquer contre son chandail avant de les replacer sur son nez.
— C’est ma myopie, mes lunettes, la buée dedans ou le brouillard dehors ?
— Sans doute un peu des quatre, répondit son passager, un adolescent blond dont le regard tentait lui aussi de percer le flou combiné de la condensation intérieure et de la brume extérieure.
Le Frère Jean passa une main impatiente sur la vitre devant lui.
— C’est une vraie purée de pois ! U-ne-pu-rée-de-pois, répéta-t-il plusieurs fois en appuyant sur chaque syllabe.
L’adolescent se retourna et fit un clin d’œil taquin à sa sœur. Anne se força à lui répondre par un sourire.
— Quelle heure est-il James ? demanda le Frère. Malgré ses efforts pour sembler détendu, la tension dans sa voix était presque palpable.
James se rassit face à la route et jeta un coup d’œil à sa montre.
— Presque quatre heures.
— Aïe, dit le Frère. La nuit tombe déjà.
— Vous croyez qu’ils ne vont pas nous attendre, demanda Anne en tentant, elle aussi, de masquer l’anxiété dans sa voix.
— À cette allure… commença le Frère. En plus ils ne connaissent pas la date exacte…
— Ils nous attendront, dit James.
Il se retourna à nouveau vers sa sœur et son regard bleu fixé dans le sien, il répéta tout bas : « Ils nous attendront ».
Son visage était calme et assuré.
Anne détourna les yeux. Bien qu’elle sache que son frère voulait la rassurer, le vieil énervement remontait en elle. Il ne pouvait rien lui promettre de la sorte et ferait mieux de se taire.
Elle soupira, se laissa glisser un peu sur la banquette et posa sa tête contre le dossier. Elle allait se laisser aller de nouveau au sommeil quand une ombre gigantesque comme un homme aux ailes déployées apparut juste devant la voiture. Le Frère Jean freina en tournant le volant de toutes ses forces. Le véhicule fit une embardée vers la gauche puis s’arrêta net contre le rebord du chemin creux. Le rebond secoua violemment les trois passagers.
— Qu’est-ce que c’était, dit le Frère en haletant.
       — On a écrasé quelqu’un, balbutia Anne les yeux dilatés d’horreur. 

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Île Verte, juillet 2012


Arnaud de Tréharec ne bougeait pas.
L’adolescent ne semblait remarquer ni la chaleur lourde qui avait banni toute fraîcheur du vieux grenier, ni la mouche ivre qui se heurtait en vrombissant contre la vitre brûlante. Sous la fenêtre entrouverte, qui ne rendait pas un souffle d’air mais dans la clarté de laquelle Arnaud était assis, il ne paraissait pas conscient de ce qui l’entourait.
Sa tignasse brune, retenue par une vieille épingle à cheveux de sa mère au-dessus de ses sourcils froncés, son haut front et l’espace entre son nez droit et ses lèvres remplies avaient beau être mouillés de sueur, cela le laissait indifférent. Rien, semblait-il, n’aurait pu le distraire de sa lecture passionnée.
Graduellement, la lumière intense du soleil de juillet s’atténua, tamisée par le passage d’un rideau de nuages sombres. Un grondement doux ronronna mollement dans le lointain. Ni la brise fraîche qui se glissa enfin par la lucarne du grenier, ni la porte qui claqua dans les profondeurs silencieuses de la vieille maison ne sortirent le garçon de sa transe. Seule sa main droite bougeait de temps en temps pour tourner délicatement une page jaunie du vieux cahier qui l’absorbait.
Lorsque soudain un hurlement retentit près de lui, il sursauta.
— Ce con de Bertrand ! marmonna-t-il en tendant la main vers son portable qu’il mit en haut-parleur.
— Enfin je peux t’avoir dans ton trou paumé ! dit une voix moqueuse au bout du fil. Ça fait des jours que j’essaie.
— J’avais oublié que t’avais changé ma sonnerie ! dit Arnaud. J’étais au bord de la crise cardiaque !
Un rire sardonique explosa dans le haut-parleur.
— Faut bien te réveiller de temps en temps ! Tu t’embêtes pas trop chez les culs-terreux ?
Ne serait-ce que deux jours plus tôt, Arnaud se serait lancé dans une invective contre l’Île Verte où il était forcé de passer ses vacances, loin de ses amis et loisirs favoris : à son âge, pas loin de seize ans, un véritable scandale. Mais tout avait changé si brusquement et si récemment que Bertrand semblait maintenant faire partie d’un autre monde et qu’Arnaud ne savait que lui dire.
— Ça pourrait être pire, dit-il avec un soupir.
— Waouh ! dit Bertrand. Changement massif !
— Non, commença Arnaud, c’est juste que je suis bien obligé de m’y faire… J’ai encore deux mois à tirer.
— La Gitane t’a pas encore fait tourner chèvre ?
La mention de sa mère sous son pseudo de « la Gitane » finit de le sortir de sa transe et le précipita dans la navrante réalité de sa vie. Il était convaincu que sa mère était la source de tous ses problèmes, le poison qui lui gâchait l’existence. Ce n’était pas qu’elle soit tout le temps sur son dos à lui dire que faire, mais c’était d’une façon beaucoup plus subtile qu’elle réussissait à envahir tous les aspects de sa vie sous des faux airs de complice.
— M’en parle pas ! s’exclama Arnaud. Elle me gonfle sérieusement, mais heureusement qu’elle a ses copines et leurs gosses pour l’occuper. Par contre moi, entre leurs chants tribaux du fin fond de la Papouasie et leurs mioches qu’arrêtent pas de hurler...
Bertrand éclata de rire.
— Avoue que ça te manque maintenant, mon Death Metal [2] !
Arnaud émit un gloussement sceptique.
— Et la tienne de mère, toujours aussi « pas chiante » ?
— Faut pas se plaindre, dit Bertrand d’un ton satisfait, elle est tout à fait gérable. Je l’ai bien matée. C’est mon père qui craint. Il s’est mis dans le crâne que je devais bosser cet été.
— Pour gagner de l’argent ? Veinard !
— Non, pour rattraper mon retard scolaire !
— Aïe, dit Arnaud.
— Évidemment toi, avec les notes que tu te tapes, t’as pas ce problème !
— Non, mais je suis pourtant coincé au bout du monde, sans personne, et j’ai même pas encore reçu mon VTT.
— Ben, t’es coupé de la civilisation sur ton île. Mais au moins tu peux nager ou surfer. T’es trop con si t’as pas capté ça !
      — J’ai capté ! Et j’en ai bien profité depuis mon arrivée, mais au bout d’un moment…
— Ouais, je sais, j’te manque !
Le rire sardonique de Bertrand retentit à nouveau dans l’écouteur.
— C’est ça ! dit Arnaud.
      — Bon, faut que je te laisse, autrement mon paternel va en faire une jaunisse quand il va voir ma note de portable.
— La Bretagne c’est pas l’Australie ! protesta Arnaud. Allez, gamin, va faire tes devoirs !
— Et toi, va bouffer ton porridge bio en écoutant tes chants de zoulous ! À plus !
Arnaud rit. La voix de Bertrand se tut et l’écran du portable s’éteignit.
Un éclair illumina l’épais couvercle de nuages noirs et un craquement grave le suivit. De grosses gouttes de pluie vinrent s’écraser sur la vitre du vasistas et une odeur de terre humide rafraîchit l’atmosphère lourde du grenier.
Arnaud frissonna.
Il serra le vieux cahier contre lui avant de le remettre dans la caisse de paperasseries où il l’avait découvert. Il laissa sa main traîner un instant sur la caisse, puis, un sourire étrange aux lèvres, il s’approcha de la lucarne entrouverte, huma l’air frais et tendit son visage vers la pluie tiède, manne généreuse descendue des profondeurs grondantes du ciel.

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Côtes du Nord, mars 1942


— Ne bougez pas d’ici, je sors ! dit le Frère Jean. Sa voix altérée en disait long sur son angoisse.
Il ouvrit la portière et un peu de l’épaisse fumée du brouillard entra dans la voiture.
— Surtout ne sortez pas, répéta-t-il en s’extirpant de son siège, ce temps est trop malsain.
Il ne mentionna pas la question qui les hantait tous les trois : avaient-ils renversé quelqu’un ? Y avait-il un blessé ou un mort sur la route ?
La portière se referma derrière lui. Un peu du froid humide et stagnant de l’extérieur transperça James et Anne de Tréharec. Anne vit son frère machinalement retenir son souffle. Inspirer du brouillard rendait malade, on le leur avait rabâché toute leur enfance. Elle eut envie d’ouvrir la fenêtre pour s’en emplir les poumons, juste par esprit de contradiction.
Sans se retourner, James allongea son bras gauche vers sa sœur. Elle ne répondit pas à son geste et au bout d’un moment il retira son bras. Le frère et la sœur restèrent ainsi, chacun enfermé dans son angoisse, sans oser parler ni regarder par la lunette arrière.
Dans la confusion qui suivait l’accident, Anne se demandait si on avait ou non ressenti un choc avant de heurter le rebord de la route. Si on avait ou non renversé l’être fantastique qui avait surgi devant la voiture. Elle aurait juré que le personnage s’était comme coupé en deux sous leurs yeux. D’un côté le corps qui s’était effondré sur la route et de l’autre les ailes qui s’étaient envolées. Impossible !
Le brouillard épaississait dehors. Le temps passait si lentement qu’il semblait à Anne que le Frère Jean était parti depuis des heures. James dut sentir la tension de sa sœur, à moins qu’il ne l’ait ressentie lui-même, car il se tourna vers elle.
— Je vais aller voir si je peux aider le Frère, dit-elle.
       — Non ! s’exclama James. Ça pourrait être dangereux et il nous a fait promettre de rester ici.
— S’il a un problème, il aura besoin d’aide.
— C’est vrai, dit l’adolescent. J’y vais.
— Mais ta j… dit Anne.
Elle se mordit la lèvre. On ne mentionnait jamais la polio qui avait rendu son frère infirme. De remords, elle s’empara de la main de James. Elle devina dans la pénombre qu’il lui souriait avec reconnaissance.
— Ne t’inquiète pas, dit-il, je suis tout à fait capable de me débrouiller. En plus, c’est moi l’aîné, laisse-moi y aller.
— Bien sûr ! dit Anne, essayant d’exprimer dans sa voix toute la confiance qu’elle n’avait pas en la force de son frère. Mais je pourrais moi aussi aider. Je viens avec toi !
Alors qu’ils s’apprêtaient à sortir, une forme lourde et tordue surgit du brouillard et frappa furieusement à la vitre d’Anne. Le frère et la sœur échangèrent un regard anxieux.
Un visage familier se colla presque à la glace. C’était le Frère Jean.
— Ouvrez vite et faites de la place pour un passager, dit-il.
Sans prendre le temps de réfléchir, Anne ouvrit la portière et commença à jeter les sacs qui embarrassaient l’arrière de l’auto vers les sièges avant. James les reçut comme il le pouvait. Elle eut à peine le temps de glisser le long de la banquette qu’un grand corps s’effondrait lourdement à ses côtés.
— James, passe-moi vite une couverture, dit le Frère, le visage empourpré par l’effort.
Il enveloppa le corps sans vie avec la couverture du mieux qu’il le put.
— Anne, ajouta-t-il après avoir réfléchi un instant, mieux vaudrait le pousser vers le milieu du siège et toi tu prendras la place près de la fenêtre. Il ne faut surtout pas qu’on le voie.
Au prix d’une gymnastique compliquée, Anne réussit à suivre les instructions du frère. À peine fut-elle de nouveau installée près de la vitre que la tête de l’inconnu, dodelinant sous la poussée, tomba contre l’épaule de l’adolescente. Elle essaya de distinguer ses traits mais ne put voir qu’une masse enchevêtrée de boucles d’un noir de jais.
— James, repasse-moi les sacs qu’on le cache dessous, dit le Frère Jean.
       — Mais ça va l’écraser ! protesta Anne.
Elle se sentait responsable du propriétaire de la tête qui pesait sur son épaule.
— On va faire attention, dit le Frère, mais il ne faut surtout pas qu’on le trouve. Allez, vite ! On n’a pas une minute à perdre !
Anne sursauta quand elle sentit soudain quelque chose frôler sa jambe. Elle vit que la main de l’étranger avait glissé et la prit doucement pour la remettre sous la couverture. C’était une main solide, une main de pêcheur ou de paysan, dont Anne sentit la rugosité mais qui, bien qu’inanimée, était souple et tiède. L’adolescente poussa un soupir de soulagement : Dieu merci il était bien en vie !
Les bagages arrangés tant bien que mal pour dissimuler le passager sans l’étouffer, le Frère claqua la portière et reprit sa place sur le siège du conducteur.
— Une prière pour que la voiture démarre, dit-il en tirant le bouton de démarrage.
Après plusieurs essais, le moteur se mit enfin à crachoter. Le Frère dut s’épuiser au volant pour réussir à remettre la lourde voiture face à la route. Puis, le pied sur l’accélérateur, il lança l’auto à travers l’épais brouillard en direction de la côte.
Un grand oiseau blanc sortit du mur de brume qui engloutissait les talus au bord de la route et, sans un bruit, s’envola derrière la voiture. 

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Île Verte, juillet 2012


— Arnaud ! Arnaud ! Coucou !
— Et merde ! ronchonna Arnaud.
— Arnaud ! reprit la voix aiguë. T’es où ? On est rentrés !
Arnaud leva les yeux au ciel.
— Faudrait être sourd pour pas le savoir ! marmonna-t-il.
— Naunaud ! On est là !
« Naunaud ! » Arnaud soupira puis, l’air accablé, se leva de son lit.
On ne pouvait pas avoir une minute de tranquillité dans cette baraque ! Qu’est-ce qu’elle avait toujours à crier ? Elle ne savait pas parler comme tout le monde. Il fallait toujours qu’elle se fasse remarquer !
— Naunaud, on met la bouilloire à chauffer ! hurla la voix. Tu viens ? Mais qu’est-ce qu’il y a ma chouchoune ? Tu veux du Nutella ? Où est ta maman ? Tu ne préfèrerais pas le bon miel bio de Tatie Poppy ?
Typique d’elle ! Elle le dérangeait, le harcelait, l’obligeait à faire ce qu’elle voulait en l’embarrassant à mort et puis deux secondes après elle pensait déjà à autre chose et se répandait en niaiseries avec ses amies et leurs rejetons abjects. Si Arnaud avait été un chien il aurait montré ses crocs et grondé furieusement. Faute de ça, il serra les poings et, en enfilant ses tongs, laissa échapper entre ses dents un chapelet de jurons.
Il descendit les escaliers en bois sans enthousiasme. La maison était très ancienne et avait un charme lié à son âge et à la façon désuète dont elle était aménagée. Mais la mère d’Arnaud y avait déjà mis sa marque. Batiks pendus aux murs en guise de tentures, foulards indiens jetés sur les abat-jour en soie plissée du salon, bougies et porte-encens essaimés un peu partout. Arnaud détestait tout ce désordre qu’elle appelait décoration. Il aurait tellement préféré voir les meubles anciens, les peintures de marine et les objets précieux, ramenés par ses ancêtres de leurs voyages au long-court, dans la simplicité qui était la leur et qui était leur plus belle parure.
Il arriva à la porte de la cuisine et évita de justesse un enfant qui courait et lui aurait donné un coup de tête dans le ventre.
        — Hé ! s’exclama-t-il. Fais gaffe où tu vas !
L’enfant ne fit pas attention à lui et continua sa course folle, tel un taureau, le front en avant.
      — Naunaud darling te voilà ! dit sa mère en levant un instant la tête du monceau de tartines qu’elle était en train de beurrer. Sers-toi chouchou !
Arnaud ne supportait plus la façon qu’elle avait d’affubler ses proches (et lui, son fils unique, en particulier) de sobriquets ridicules. Et ce tic qu’elle avait de mettre de l’anglais partout. Tout en elle était faux même son nom. Elle s’appelait banalement Patricia mais se faisait appeler Poppy.
Arnaud grommela un remerciement et attrapa deux tartines avant de sortir dans le jardin.
Sur le pas de la porte, il s’arrêta pour inspirer l’air frais saturé d’humidité. Ça sentait le vert et la pureté. Il avança sur la pelouse et ses orteils se rétractèrent au contact de l’herbe trempée. En colère avec lui-même pour cette réaction d’enfant des villes, il les força non seulement à se détendre mais aussi à apprécier la fraîcheur humide.
Les enfants des amies de sa mère hurlaient en se poursuivant dans le jardin (le plus vieux ne pouvait pas avoir plus de dix ans). Arnaud décida de partir se perdre dans le parc du domaine pour être tranquille et continuer à réfléchir à ce qu’il venait de découvrir dans le cahier jauni du grenier.
Il dut marcher un bon moment avant de trouver un coin suffisamment isolé pour ne plus entendre les éclats de voix venus de la maison.
Les arbres ancestraux l’entouraient de leur épaisse coupole sombre : peut-être avaient-ils connu l’auteure mystérieuse du journal qu’il avait trouvé. Quel âge aurait-elle aujourd’hui ? Treize ans en 1940… Elle serait hyper vieille ! L’âge de Mamicé, la mère de son père. Arnaud se demanda si sa grand-mère avait connu la fille du cahier. Il aurait bien du mal à le lui demander car elle était à l’hôpital à Paris, « entre la vie et la mort ».
Quand un jour son père était rentré l’air assombri et lui avait annoncé que sa grand-mère avait eu une attaque, cela ne lui avait fait ni chaud ni froid. Il la connaissait à peine. Poppy, sa mère, et elle ne s’aimaient pas. Poppy trouvait sa belle-mère trop froide et raide, et Mamicé avait donc été rayée des listes.
 Quand il était petit il allait parfois la voir avec son père, mais ça faisait des années que son père y allait tout seul. Il se souvenait d’elle comme d’une dame distinguée et peut-être un peu raide. Mais elle avait un sourire très jeune et il l’avait toujours trouvée plutôt jolie. Son grand-père était mort avant sa naissance et il ne savait pas grand-chose sur lui. Il ne s’était à vrai dire jamais posé de questions à leur sujet.
Sans s’en rendre compte il avait marché jusqu’à l’étang. Des ajoncs bordaient l’eau stagnante et emplissaient l’air de leur parfum sucré. En fermant les yeux on se serait cru dans un pays exotique tant leur parfum rappelait celui de la noix de coco.
Arnaud trouva un endroit où les bords de l’étang étaient dégagés. Il s’assit sur une souche de chêne et commença à mâcher son pain en rêvassant.
Une brume perlée montait de la surface de l’eau et il crut voir une silhouette se former dans le flou. C’était la forme gracile d’une fillette de treize ans, à genoux dans une barque. Elle était habillée d’une robe chasuble démodée et ses cheveux entouraient son visage de deux tresses dorées.
Il écarquilla les yeux et la vision s’évanouit. Un grondement sourd résonna dans le lointain. Il allait repleuvoir.
Arnaud secoua la tête pour chasser l’hallucination, se leva et décida de rentrer. Ses tongs lui collaient aux pieds et il se déchaussa pour marcher pieds-nus dans l’herbe mouillée. Il ne put faire que quelques mètres avant qu’une douleur aiguë ne lui arrache un cri d’angoisse. Sur quoi avait-il marché ?
La douleur lui plomba la tête et il tomba de tout son long.







[1] À l’époque les Côtes d’Armor se nommaient les Côtes du Nord.
[2] Le « death metal » (DM) est un sous genre de la musique « metal », caractérisé par des paroles et musiques sombres et/ou violentes, souvent chantées d’une voix gutturale et grave et parfois accompagnées de hurlements.

Tuesday, December 22, 2015

JOYEUX NOËL !




Chers amis,

Malgré la guerre, la violence et la misère qui ont caractérisé cette année, j'espère que Noël marquera dans nos vies une trêve de compassion et de bonne volonté. Car Noël c'est la fête de l'espoir et de la chaleur humaine au cœur même de la nuit glacée de l'hiver. N'oublions pas cette année tous ceux qui sont seuls, malades ou en deuil; n'oublions pas non plus tous ceux qui sont sans maison, sans abri et parfois même sans pays.

Trouvez ci-dessous un très court extrait du premier tome de ma trilogie, qui se passe le 24 décembre 1939 dans un jardin enneigé. Dans toute sa simplicité et sa pureté enfantine, il représente un instant magique entre deux êtres, malgré les sombres menaces qui les entourent : un peu de magie de Noël et les balbutiements d'un amour qui définira leur vie. 

Je vous souhaite à tous et de tout cœur 
un Noël de lumière et de paix. 





LA MARQUE DE L'ORAGE

TOME 1 des MAÎTRES DE L'ORAGE


Le matin du 24 décembre 1939, l’île se réveilla sous la neige. Le voile épais et blanc donnait au décor familier un air de magie. Tout était pareil et cependant différent.
Partout on sentait Noël : dans le silence feutré contre lequel les cris des mouettes se détachaient encore plus clairement. Dans l’air vif et coupant qui rougissait le nez et les oreilles. Dans les hurlements de joie des enfants qui sortaient de chez eux à peine habillés pour profiter de la neige avant qu’elle ne disparaisse.
Malgré le froid, Marwen n’eut pas à supplier longtemps sa mère de la laisser sortir. Le Dr Goulaouenn plaida avec conviction en sa faveur et sa femme céda.
Emmitouflée dans un manteau chaud, une longue écharpe, un bonnet et des gants, Marwen sortit enfin. Gaël l’attendait, appuyé nonchalamment au portail, les yeux brillants d’excitation.
— J’ai cru que tu n’arriverais jamais ! lui lança-t-il.
Il la détailla des pieds à la tête.
— Mon Dieu, s’exclama-t-il, ta mère t’a entassé toute ta garde-robe sur le dos ! Tu peux encore bouger avec tout ça ?
Marwen se sentit engoncée et ridicule, mais son embarras ne dura pas longtemps car Gaël attrapa son bonnet et s’enfuit avec. Elle le poursuivit en hurlant « rends-le-moi ! » dans la ruelle blanchie entre leurs maisons, jusque dans le jardin du café qui descendait vers la forêt.
Gaël avait disparu.
Le jardin était une jungle de mauvaises herbes et d’arbres mal entretenus. Mais, sous la neige, il se transformait en une féerie immaculée. Le soleil apparut entre les nuages et se refléta sur le sol blanc. Marwen fut éblouie.
Elle crut alors apercevoir au fond de cette friche, à l’endroit où s’ébauchait la forêt, une femme pâle dans une robe si blanche qu’elle en paraissait lumineuse. Les contours de l’apparition étaient si flous qu’elle semblait se dissoudre dans la lumière du jardin enneigé. Marwen sentit ses cheveux se dresser sur sa nuque.
Elle cligna des yeux, espérant avoir affaire à un mirage, mais la femme était toujours là.
À ses pieds, Marwen distingua alors une forme accroupie, à moitié dissimulée derrière un buisson. Les bras largement ouverts, la femme se penchait vers la forme comme un rapace prêt à engloutir sa proie.
Quand la forme bougea, Marwen reconnut Gaël. Inconscient, il ne pensait qu’à leur jeu de cache-cache. La femme se tenait derrière lui et il ne se rendait compte de rien. Marwen poussa un cri strident :
— Gaël !
Elle s’élança vers lui.
Un couple de corbeaux surpris par son appel s’envolèrent en coassant.
Gaël sortit de sa cachette. Il leva les bras en l’air comme s’il se rendait à un ennemi et agita le bonnet volé en guise de drapeau blanc. Il riait.
Quand Marwen arriva près de lui, la femme blanche avait disparu. Terrifiée, hors d’elle, elle se jeta dans les bras de Gaël. Surpris, il la saisit et la serra contre lui.
Le temps s’arrêta.
Quelques petits flocons de neige voletaient paresseusement dans l’air froid saturé de lumière. Le soleil attachait ses fils d’or au givre qui glaçait plantes et arbres, ainsi qu’aux cheveux clairs de Marwen et sombres de Gaël.
Elle ne reprit ses esprits que lorsqu’elle sentit contre elle la chaleur du corps de Gaël. La joue sur sa poitrine, elle entendait les battements accélérés de son cœur. Son cœur à elle aussi battait plus fort qu’après la course la plus folle.
Elle leva les yeux vers lui et leurs regards se mêlèrent. Une telle douceur se lisait dans ses prunelles brunes qu’elle se sentit presque étouffer de tendresse.
Des cris d’enfants venus de la rue brisèrent alors le cocon silencieux qui les protégeait. La magie disparut et le temps reprit son cours.
Ils se séparèrent immédiatement comme surpris en flagrant délit de désobéissance. Le charme rompu entre eux, Marwen se sentit rougir violemment. Pour sauver la situation, Gaël lui enfonça malicieusement son bonnet jusqu’au menton.
— Attrape-moi maintenant si t’en es cap, cria-t-il en riant.
Elle se libéra de la prison de son bonnet. Quand elle put voir à nouveau, le jardin était désert. Elle entendit la voix de Gaël dans la rue où il avait rejoint les autres enfants dans une bataille de boules de neige.
Elle attendit un peu que son cœur se calme et que sa rougeur se dissipe avant de quitter le jardin givré pour le suivre.




Thursday, December 3, 2015

Etat de guerre... // War...





IN ENGLISH: (Message en français ci-dessous) 
I didn't know when I wrote this two years ago that tension, grief, defiance and fear would be so palpable again in Paris. My book is sadly more relevant than ever as the parallels between past and present become more obvious behind surface differences (fascism is fascism is fascism). I really, really hope that the atrocities committed by Islamo-fascists won't encourage French people to vote for the extreme right and that the National Front won't be victorious at the regional elections this weekend and the next. 
I do believe that our only hope is in the unity of all people of good will, whatever their religion, culture or race, against hatred, obscurantism and death. 


Je ne savais pas lorsque j'ai écrit ceci, il y a deux ans, que la tension, la douleur, la défiance et la peur seraient à...
Posté par Les Maîtres de l'orage sur jeudi 3 décembre 2015



Wednesday, December 2, 2015

Il y a un an... La voix de l'Egrégore.




Chers amis,

Il y a un an tout juste, je finissais l'écriture de La voix de l'Égrégore... Tant de travail, de passion et d'émotions... 2015 a été une année difficile et insécure pour mon éditeur et donc aussi pour mes livres. J'espère de tout coeur que 2016 sera meilleure, que mon éditeur recevra le feu vert du tribunal de commerce pour pouvoir reprendre ses activités dès janvier, et que je pourrai donc enfin partager avec vous le troisième tome de ma trilogie (mon préféré, si on peut avoir un préféré parmi ses enfants!) dans le premier semestre de 2016.

Merci de votre soutien précieux et de votre patience. 





Il y a un an, sans maquillage, ayant pleuré, épuisée mais heureuse, 
le troisième tome des Maîtres de l'orage fini.


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